


« La liberté d'aimer n'est pas moins sacrée que la liberté de penser. » Victor Hugo




Nice et son identité visuelle
Nice, le Comté, les Alpes-Maritimes voilà un territoire particulier coincé entre l’Estérel et les Alpes. Trois lieux, trois identités mais géographiquement il s’agit d’un territoire commun enclavé à l’est et à l’ouest par les montagnes et au Sud par la mer.
Un ensemble géographique propre et reconnaissable dans le monde entier. J’affirmerais ici que ce territoire est uni dans une histoire, une culture et un patrimoine commun. L’ensemble forme une communauté de destin ouverte sur le monde mais qui ne renie si sa culture ni son identité. J’associe ici le Comté de Nice aux Alpes-Maritimes volontairement car l’histoire de Nice est liée à l’arrondissement de Grasse depuis plus de cent cinquante ans. Acceptons notre passé, ne renions pas notre patrimoine ni notre identité. Nous ne pouvons pas sélectionner notre passé comme il nous semble, en supprimer une partie et en garder une autre. Cet ensemble est la Côte d’Azur pour reprendre l’expression de Liégard, ou Riviera – et non celui de Provence que veut imposer Michel Vauzelle-. Cette terre a ses propres caractéristiques qui peuvent être identifiables. Comme tout lieu sur terre, nous pouvons définir une identité visuelle qui la distingue de ses voisins proches ou éloignés. Cette identité visuelle au sens le plus strict représente ce « quelque chose » qu’on identifie à notre région et qui lui est propre. Elle rentre ainsi dans notre culture et notre patrimoine, mais elle ne reste pas figée elle évolue, se perpétue, s’institutionnalise. Nous distinguons trois formes d’identités visuelles :
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La première représente l’identité géographique.
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Une identité instituée, normée, construite et développée sur des pratiques sociales, des objets, des évènements.
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La dernière, une identité non institutionnalisée qui s’établit d’elle-même, « sauvage », spontanée.
L’identité géographique visuelle représente les caractéristiques visibles et objectives de la région, ses vallons, ses collines, ses montagnes, son bord de mer. Bref son référentiel géographique et l’on peut objectivement associer cette enclave territoriale avec le champ lexical de la beauté et de la poésie. Ce référentiel géographique a fait le tour du monde, les locaux et les visiteurs reconnaissent cette identité primaire. L’approche aérienne du comté de Nice est l’une des plus belles du monde, en 2014 elle obtînt la première place du palmarès 2014 des plus belles approches d’aéroports du monde[1].
L’approche maritime offre un autre visuel tout aussi beau avec des nouvelles couleurs, quant à l’approche routière par l’A8 que pouvons-nous dire ? Et bien c’est une vision enchanteresse qui s’adresse à nous, cette trouée dans les montagnes à proximité de Nice, la découverte de la Baie des Anges, du Mont Boron en fond, de la colline de l’observatoire, bref la vue dans son ensemble, ne peut que ravir l’œil avisé. Le visuel de la grande corniche et la vue sur les hauteurs nord de Nice est également une ode aux couleurs sans cesse différentes et bien sûr sans oublier les panoramas depuis la colline du château. Des panoramas avec des couchés de soleil formidables font de ces vues, de cette géographie la première identité visuelle de Nice.
©ChantalNissa
Cette identité visuelle donne aux collectivités locales et aux acteurs économiques un cadre promotionnel. Ces entités vont se réapproprier cette identité et l’institutionnalisée c’est-à-dire lui donner un caractère précis, l’encadrer, la rendre répétitive et la favoriser. La publicité au sens le plus large est de promouvoir un objet, une personne, un évènement, un fait sur un public. La plus commune, celle que l’on voit à la télévision est une suite d’images diverses et contrastées qui a pour but de marquer le spectateur. Au même titre les acteurs humains qui reprennent cette identité visuelle vont diffuser, arranger par des montages, ce cadre géographique pour présenter la région. Le cadre naturel, primaire, tombe donc rapidement dans une forme de création. Cette identité géographique est le premier atout de notre région pour notre économie mais également, et c’est la sans doute le plus important, pour notre bien-être, nous les locaux.
©copyright Mathieu
Si l’on s’attarde désormais sur l’identité visuelle instituée de Nice et l’identité naturelle, spontanée nous pouvons saisir que ces deux réalités sont rarement séparables. Les traditions culturelles sont régulièrement reprises par les acteurs politiques et économiques afin de formaliser, de ritualiser des références au passé, d’inventer une tradition et de définir une culture propre au territoire. Nous l’avons vu, cela est vrai dans le cadre de la géographie mais cela est encore plus frappant lorsque l’on s’attarde sur les pratiques sociales, des évènements, des objets. Deux hypothèses sont à envisager pour expliquer cette prise en main de cette identité par les institutions. La première hypothèse viendrait du fait que certains traits identitaires assurent une cohésion sociale et symbolisent un groupe réel ou artificiel (prenons par exemple la communauté de destin que nous formons autour du Comté de Nice). Une deuxième hypothèse liée à la première est la réappropriation de l’identité locale –visuelle ou non d’ailleurs- par l’institution lui donnant une légitimation, un statut d’autorité et in fine un contrôle du groupe. Prenons désormais deux exemples connus à Nice qui marquent une identité visuelle forte (mais également une pratique notamment dans le cas du carnaval qui n’entre pas dans le cadre de cet article) pour lesquels le glissement d’une identité « sauvage » et spontanée à une identité instituée et normée est visible:
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Les chaises bleues de la Promenade des Anglais
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Le Carnaval de Nice
Les chaises bleues sont l’un des plus forts symboles de la cité azuréenne dans le monde lorsque l’on parle de la Promenade des Anglais elle-même par ailleurs est une représentation identitaire forte liée à la Baie des Anges qui se trouve être le marqueur visuel géographique. Nous pourrions d’ailleurs prendre l’exemple du nom Promenade des Anglais pour traiter le sujet mais cela serait fastidieux alors que l’actualité niçoise autour de la chaise bleue me semble plus accessible. La chaise bleue est à l’origine un service payant pour les passants. L’histoire débute vers 1950 lorsque Charles Tordo, employé dans une entreprise de maintenance des trains, se voit confier la fabrication de huit cents chaises par Monsieur Ballanger, détenteur de la concession des chaises de la Promenade. Les premières versions étaient en bois mais rapidement l’œil de l’autochtone et du visiteur a associé les chaises bleues à la culture visuelle niçoise alors qu’il ne s’agissait que d’un service. Désormais en métal et gratuites les chaises sont devenues la représentation même de la promenade des anglais. Et les acteurs politiques et économiques sont en grande partie les responsables de cette identité visuelle de la chaise bleue. Ces acteurs ont su saisir ce marqueur, ce sentiment d’identification à un territoire précis qu’était la chaise bleue et l’ont réapproprié par la suite pour en faire de la publicité. Qui désormais à Nice imaginerait des chaises rouges ? Ou noires ? L’identification des touristes d’une chaise rouge sur la promenade des anglais pourrait-elle désormais se faire ? J’en doute fortement tant cette identité visuelle est désormais la norme et intégrée par tous. Prenons à témoin l’installation d’une chaise bleue géante sur la Promenade. Sans entrer dans le débat esthétique de la chose, on constate simplement qu’une telle implantation artistique reflète et accentue l’identité visuelle niçoise et plus particulièrement de la Promenade autour de la chaise bleue.
Notre deuxième exemple est celui du carnaval de Nice célèbre dans le monde entier. Si l’on se réfère au rapide historique présent sur le site de la ville[2] nous pouvons lire :
« En 1830, un 1er cortège fut organisé en l’honneur de Charles-Felix et de Marie-Christine, souverains du Royaume de Piémont Sardaigne. La trentaine d’équipages défilant pour le roi et la reine annonçaient le futur déroulement du Carnaval. Jusqu’en 1872, la fête battit son plein dans les rues de Nice, au gré des inspirations de chacun : la foule déguisée se bombardait de confettis de plâtre, de farine, d’œufs ».
Nous constatons qu’il s’agissait d’une manifestation populaire en l’honneur du souverain sans captation municipale. Mais en 1873 la ville de Nice a décidé d’organiser et de donner de l’ampleur aux festivités. Des cortèges de chars, des tribunes payantes, une mise en scène structurée... firent leur apparition. Le début du carnaval moderne et la fin de cette insouciance populaire au fil des années ont inscrit le carnaval dans cette identité visuelle niçoise, les différents chars qui prennent possession de la ville, les estrades qui y sont liées, les publicités autour de l’évènement sont autant de tableaux portés à notre œil. Désormais le carnaval est un enjeu économique majeur de la région nicoise. La ville s’est appropriée un évènement populaire, a ajouté avec ses règles, son contrôle et ses normes pour faire de cette fête une représentation de Nice. Les individus du monde occidental ont connaissance du carnaval de Nice. Si à ses débuts le carnaval était avant tout un moment participatif pour les locaux c'est désormais l'inverse nous sommes des spectateurs avant d'être des acteurs. Les mêmes principes sont applicables pour les évènements sportifs, lu mai, lou festin dou pouort, les feux d’artifices etc …
Pour un descriptif mieux détaillé du carvanal je vous incite à visiter cette page : ici
Ce qui est assumé ici, c’est que l’invention des traditions est essentiellement un processus de formalisation et de ritualisation caractérisé par la référence au passé, ne serait-ce que par le biais d’une répétition imposée. Bien entendu notre culture visuelle à Nice est pratiquement dans sa totalité instituée par les acteurs politiques et économiques comme par exemple l’image de l’œillet désormais inscrite au cœur même de la Promenade du Paillon, les costumes « traditionnels », l’identification visuelle du cimetière du château, les couleurs des immeubles au port Lympia, la sculpture en métal de la place Sulzer appelée amicalement par les niçois « la ferraille », les palmiers de la Promenades des Anglais, les façades de la place Garibaldi, du palais de la Méditerranée et du Négresco etc.. La quasi-totalité de notre identité visuelle a été instituée, organisée, développée, promue et élue au rang d’identité et nous en sommes fiers. Cette identité nous caractérise et nous ne devons pas la rejeter au quotidien. Nos plus forts symboles visuels comme l’aigle ou la ratapignata ont été de cette manière définis afin de former notre identité visuelle notre attachement à notre territoire. Bien sûr nous pouvons trouver encore des lieux qui marquent une identité spontanée, comme le carnaval indépendant de St Roch, les tags comme œuvre d’art des anciennes casernes des chasseurs alpins (désormais quartier étudiant avec ses nouveaux immeubles), les anciens pins du Stade Vauban, mais ces lieux sont désormais tellement rares que je peine à en trouver des exemples.
Mais rappelons-nous une chose, c’est nous citoyens qui sommes à l’origine de nos codes, de nos identités et qui les créons avant de se voir fixés par une institution. Notre identité n’est cependant pas une nature morte, elle est en mouvement. Soyons fier de notre identité régionale, elle ne relève pas d’un romantisme passéiste. Ce qui est certain c’est que l’identité visuelle et la culture dans son ensemble de nos aïeux est très différente de celle que l’on voit aujourd’hui et celle de nos enfants le sera aussi de la nôtre. Cela est la marque d’une identité et d’une culture vivante. Tout un chacun a le pouvoir de construire ses propres référentiels identitaires visuels car sans nous citoyens du Comté, des Alpes-Maritimes, l’identité nicoise se noierait dans les abimes du temps.
N.M
Non les palmiers avant n'existaient pas, les premiers ont été plantés en 1862.
[1] Soit la vue à l'atterrissage - dans le cadre du sondage organisé par la compagnie PrivateFly parmi plus de 200 aéroports. Après avoir été sélectionné par un panel d'experts internationaux de l'industrie du voyage, l’aéroport français a été élu par 5000 votes d'internautes, devançant, les aéroports de Londres, Los Angeles et Rio de Janeiro
[2] http://www.nicecarnaval.com/carnaval/historique/origine.php




